Travail et emploi, le poids des mots.

La crise sociale qui s’annonce avec la gestion délicate du coronavirus promet d’appauvrir la population française dans une dimension que nous ne pouvons pas encore connaître aujourd’hui. Pour prévenir cette catastrophe annoncée, les responsables politiques ont le pouvoir de mettre en place des mécanismes qui pourraient lutter directement avec l’élément caractéristique de la pauvreté, le manque d’argent. À ce sujet, le système de sécurité sociale Français comporte déjà des dispositifs relativement efficaces, certains diront qu’ils sont trop généreux quand d’autres soutiendront le contraire. Finalement, si cette ‘générosité’ permet de définir ce que l’on appelle communément la solidarité nationale, aujourd’hui, cette idée de mettre en commun le soutien de la pauvreté est largement remis en cause. L’argument numéro un n’est pas d’ordre politique mais économique, ou plus exactement, c’est une question d’équilibre budgétaire. Naturellement, soutenir que la question du budget de l’État n’a rien de politique n’est pas sérieux, il s’agit ici de représenter grossièrement la réalité du débat politique dans notre société. Reprenons, la remise en question de notre système de solidarité se caractérise par sa soumission à une logique purement comptable, nous ne pouvons accepter le déficit budgétaire. Si cette règle financière s’est imposée dans la gouvernance politique ainsi que dans notre imagerie collective, c’est que nos derniers gouvernements ont su nous présenter cette règle comme relevant du bon sens. Le déficit, tout comme la dette, n’est pas une bonne chose, il faut donc diminuer notre dépense publique pour ne pas compromettre notre système social tout entier, vous connaissez la suite. Il faut dire que ce discours est redoutablement efficace car en 2018, 40% des Français affirmait qu’il y avait trop d’aides sociales dans notre pays, comment ils expliquent le taux de pauvreté qui stagne à 10%, bonne question. Au-delà de cet argument comptable, il existe un second argument qui permet de faire le lien entre le bon sens économique et la réalité du monde politique, c’est l’idéologie néolibérale. Cette philosophie politique domine le débat politique depuis trois décennies et son plus grand représentant occupe actuellement la position de Président de la République française. Pour les néolibéraux, le marché est la solution à tous nos problèmes économiques et sociaux, la puissance publique ne doit jamais intervenir, il faut alors déconstruire notre modèle social, déconstruire la solidarité collective pour faire place à un marché qui saura répondre aux besoins des individus, individuellement.

Il ne faut pas attaquer Macron et ses ministres sur le terrain de la lutte contre la pauvreté en présupposant qu’ils n’ont aucune envie de le faire, simplement, l’école de pensée à laquelle ils appartiennent ne permet pas de penser cette lutte comme étant le rôle de l’État. Concrètement, pour lutter contre cette catastrophe annoncée, nous aurions pu nous diriger vers un déploiement de notre système social envers les populations qui souffrent le plus, notamment les jeunes. Nous aurions pu reparler du Revenu Universel, qui permet de concilier crise économique et refonte de notre société, nous ne l’avons pas fait. Si ce Revenu n’existe pas et n’a probablement aucune chance d’exister dans un futur proche, une allocation déjà existante approche légèrement, très légèrement cette idée, c’est le Revenu de Solidarité Active (RSA). Il ne sera pas discuté ici si sa valeur est suffisante, ni si le suivi des allocataires s’apparente davantage à une chasse aux pauvres qu’à un soutien matériel et moral nécessaire. Non, ici, nous allons discuter de la validité de proposer un revenu dont l’origine ne se trouve pas dans l’obtention d’un emploi, idée qui viendrait remettre en cause non pas notre système social, mais le Macronisme. Si nous évoquons le RSA alors qu’il n’ait qu’une pâle copie du RU, c’est pour rebondir sur l’actualité de la semaine dernière et au débat sur l’extension de cette allocation pour la population des 18-25 ans. Le Ministre de l’Économie, Bruno Le maire, a rejeté cette idée en l’expliquant ainsi, « C’est une conviction politique forte chez moi : je pense qu’on construit sa vie par le travail. On construit sa vie par l’emploi que vous trouvez, par l’engagement que vous avez dans votre profession, c’est ça qui vous fait grandir » (15 janvier 21), analysons ensemble ce propos. Dans ce refus d’accorder le RSA à la population qui est la plus touchée par la pauvreté, Bruno Le maire commet plusieurs erreurs caractéristiques de ces responsables politiques qui sont tout bonnement déconnectés de la réalité, mais aussi et surtout, caractéristiques de son idéologie politique. Outre le fait que ces deux choses aient probablement un nombre important d’atomes crochus, elles sont ensemble, à l’origine de l’abandon programmé des politiques sociales publiques qui ont pourtant permis pendant des décennies de limiter les effets néfastes de la pauvreté de masse. La première erreur évidente que commet le ministre se trouve dans la manière dont il pense le RSA. À en croire le ministre, ce serait un dispositif qui éloigne les bénéficiaires du chemin de l’emploi. Il faut savoir que l’obtention de cette allocation sociale est réservée à une population en situation d’extrême pauvreté, il n’y a par conséquent aucun enrichissement possible à partir de ce revenu de solidarité. De plus, les bénéficiaires doivent s’engager dans des démarches prouvant qu’ils font les efforts nécessaires pour retrouver le chemin de l’emploi, c’est ce qu’on appelle le contrat de réciprocité. Peu de gens sont au courant de ce suivi, mais chaque bénéficiaire du RSA est soumis à un contrôle strict et le moindre relâchement se traduit par une baisse voire une annulation de l’allocation. L’essence de cette aide sociale n’est donc pas de financer la fainéantise mais d’accompagner financièrement une population dont l’extrême pauvreté ne permet pas d’aborder le retour à l’emploi de manière plausible. Donc non, Bruno Le maire a tort d’opposer l’attribution du RSA à une population avec son incapacité à « grandir » par le travail, cette allocation accompagne justement ce retour à l’emploi. Par ailleurs, en avançant ce type d’argument pour démotiver l’utilité et l’existence du RSA, on comprend aisément qu’un tel Ministre n’aurait aucun mal à supprimer toutes les allocations sociales, son discours est donc clairement contre l’intervention de la puissance publique pour lutter contre la pauvreté, élément caractéristique du néolibéralisme.

La déclaration du Ministre de l’Économie semble assez innocente dans un premier temps, il soutient la société du mérite, cette société qui fantasme l’effort individuel à propos de la réussite économique des uns et des autres. Cette vision des choses, qui mêle richesse et marché, est fortement défiante à l’encontre de toutes les interventions étatiques dans l’économie, il faut désengager ce dernier pour permettre à la liberté individuelle de faire les choses. Concrètement, les interventions publiques auraient pour conséquences d’appauvrir la volonté individuelle de s’en sortir par elle-même, c’est le concept de l’assistanat. Cette vision des choses ne tient sur aucunes études scientifiques, sur aucuns faits vérifiés, ce n’est que du discours idéologique sans aucun rapport avec la réalité. Il faut déconstruire cette vision de la pauvreté, l’assistanat n’est pas de l’ordre du phénomène social mais du fantasme idéologique, c’est du bullshit. Pour revenir aux mots de Bruno Le maire, il ne souhaite donc pas apporter d’aides financières à des individus afin qu’ils puissent s’en sortir par eux-mêmes, par le biais d’un emploi. Naïvement, nous pourrions lui rétorquer que la nécessité d’un dispositif comme le RSA repose justement sur le fait qu’il soit presque impossible pour ces individus de retrouver un emploi. Mais plus pertinent encore, des bénéficiaires du RSA possèdent parfois déjà un emploi[1], mais le revenu de ce dernier étant bien trop inférieur pour « grandir », ils ne peuvent s’en sortir sans l’apport d’une aide publique. Encore une fois, il faut sortir cette vision qui dessine la pauvreté comme étant exclusivement un fait de fainéantise, ce n’est pas le cas du tout. En réalité, la pauvreté est aussi et surtout l’affaire des salariés, des auto-entrepreneurs, des indépendants ou autres. Donc non, monsieur le Ministre, l’emploi ne garantit pas de pouvoir grandir, pire, des trappes à pauvreté se construisent de plus en plus dans la population active occupant un emploi. L’innocence de votre propos cache donc en réalité un coup de poignard à tous ces travailleurs pauvres qui composent ce que l’on nomme à juste titre le précariat, cette masse qui travaille mais qui ne peut tirer un revenu suffisant pour s’extraire de la pauvreté, c’est ça la réalité, monsieur le Ministre.

Mais suivons votre logique, imaginons qu’il soit possible de « grandir » par le travail et oublions la fin de votre phrase qui n’a, monsieur le ministre, que peu d’importance. Si nous en restons à cette idée que l’on se construit par le travail, alors oui, nous avons ici à faire à une idée noble qui mérite d’être discutée. Mais il va falloir se mettre d’accord sur une chose, et voyons ensuite si le ton de la discussion évolue, qu’est-ce que le travail finalement ? Si nous posons cette question à une personne au hasard, il est fort à parier que sa réponse se conclura par un rapprochement avec l’emploi. C’est la vision orthodoxe, celle qui est la plus partagée dans la société. Le travail se résume à une activité rémunérée qui permet en effet, aux travailleurs de pouvoir construire un quotidien à l’image du pouvoir d’achat qu’ils possèdent. Maintenant, nous pourrions très bien définir le travail comme étant l’ensemble des activités humaines nécessaires à la production des conditions de l’existence. Cette définition, qui trouve son origine dans la philosophie politique, permet de penser le travail comme étant concomitant à la condition humaine, nous travaillons car nous y sommes forcés pour survivre. Ici, la différence qui peut pour certains sembler infime, est en réalité abyssale, d’une activité purement marchande, nous voici en présence d’une activité qui ne peut se séparer de la condition humaine. Pour être plus précis, ce que nous aimons appeler le travail est en réalité l’emploi, c’est une organisation sociale du travail particulière qui existe depuis l’avènement du capitalisme marchand. Nous pourrions discuter de son historicité, mais l’intérêt ici se trouve davantage dans le fait qu’il soit possible de penser le travail en-dehors de ce piège lexical. Il peut sembler évident de définir le travail par l’emploi mais en réalité, cela nous empêche de penser un changement radical et nécessaire dans notre société. Si nous pensons le travail comme cette activité inhérente à la fabrication des choses dont nous avons besoin (reste ici à définir ce qui relève du besoin ou de l’extra), il devient alors évident (l’évidence comme solution pour combattre l’évidence qui ne l’est pas), qu’une bonne partie de la population travaille sans rechercher un quelque conque avantage monétaire. Prenons l’exemple du particulier qui prend soin de son potager personnel et qui profite de ses connaissances ainsi que de son effort à la tâche pour récolter de quoi manger, n’est-ce pas du travail ? Pensons aussi à cette mère de famille qui reste à la maison pour s’occuper des enfants, n’est-il pas possible de trouver du travail dans le fait de les alimenter, de les protéger et de les éduquer ? La liste est encore longue mais s’arrête là où le capitalisme a pris le dessus, elle s’arrête lorsqu’une activité historiquement non-rémunérée se transforme en un service marchand. Alors quand le ministre parle d’une conviction politique forte, en réalité, il nous parle de son dogmatisme, de son ignorance, de son incapacité à comprendre nos comportements.

Monsieur le ministre, vous basez votre combat politique sur une interprétation particulière du travail, et nous pouvons vous blâmer pour cela, c’est de la politique finalement. Mais il faut bien que vous compreniez que vos mots, en tant que ministre de l’économie, ont un poids qui vous procure une responsabilité supérieure. Vous souhaitez voir les hommes et femmes grandirent par le travail, comprenez ce qu’est le travail alors. Vous voulez parler de ces millions d’heures passés en-dehors de vos tableaux Excel que vos brillants mais aveugles conseillés utilisent à longueur de journée ? Vous voulez parler de ce travail que vous avez décidé de passer sous silence mais qui permet à la France d’être ce pays que nous connaissons ? Vous voulez vraiment des jeunes et moins jeunes qui grandissent par le travail ? Je pense pouvoir dire assez aisément que nous voulons tous la même chose, vous n’avez d’original que le pouvoir quand nous autres, nous n’avons que la vérité pour combattre vos mensonges. Si vous voulez lutter contre la pauvreté, si tel est réellement l’objectif de votre action politique, abandonnez votre idéologie nauséabonde et mortifère qui est à l’origine d’une pauvreté de masse. Vous êtes obnubilé par la croissance, tout ce qui se passe à l’extérieur de ce qui se marchande ne vous intéresse pas, vous aimez parler de méritocratie mais le réel effort individuel, celui qui se passe de l’action des autres, ne vous intéresse pas. Vous pouvez dire non à l’extension du RSA ou à la création d’un Revenu Universel en prétextant la complexité de leur mise en place, prétextant qu’elles ne sont pas efficaces pour lutter contre la pauvreté, il y a beaucoup de critiques valides à leurs égards mais vous avez préféré l’idéologie et la bêtise. Nous allons maintenant rentrer dans ce combat politique que vous avez-vous-même commencé. Lutter contre la pauvreté n’est pas votre problème, pour faire dans la démagogie, je dirais que vous n’avez aucun sentiment envers la pauvreté car vous n’y avez jamais été touché. Pour vous, ce n’est qu’un phénomène économique, ce n’est qu’une conséquence directe d’un sous effort au travail, ce n’est qu’une fidèle représentation de la qualité d’une personne. Si seulement, mais si seulement vous connaissiez des pauvres, votre empathie envers les démunies en serait transformée, votre idéologie en serait retournée et votre vision du monde en serait chamboulée. Soyons franc, vous êtes incompétent et votre ignorance de la pauvreté n’est même pas l’origine de ce défaut, non, votre incompétence se trouve dans votre confiance aveugle au néolibéralisme. Pour continuer dans la franchise, l’avantage de l’incompétence, c’est que cela permet de faire perdurer ce terrible statu quo. Alors continué à ne prendre aucun risque, continué votre politique néolibérale, finalement, il semblerait que vous n’ayez pas encore eu assez de gilets jaunes dans la rue. Ne vous inquiétez pas, votre pouvoir est fragile et ne tient plus qu’à un fil, les cloches de la récréation vont sonner, 2022 approche. Monsieur le Ministre, votre incompétence vous dédouane de votre responsabilité, mais votre ignorance ainsi que votre maladresse sont belles et biens responsables de millions de pauvres, mais ça, vous ne le verrez sans doute jamais.

Cet article n’entend pas justifier le Revenu Universel mais critiquer cette vision politique qui n’est finalement que dogmatique. Les prestations sociales ne servent pas à financer l’immobilité et l’improductivité, ce sont des aides sociales qui permettent de soutenir des personnes en situation critique. Cette solidarité représente un coût, aujourd’hui, nous aimons dire qu’elle est une charge, mais il faut bien garder à l’esprit que cette ‘charge’ n’existe pas indépendamment d’un système économique qui est aussi responsable de ses défauts. Nous voudrions tous bien gagner notre vie et je pense pouvoir affirmer sans trop de mouiller que nous aimerions que tout le monde gagne bien sa vie. Notre système économique ne permet pas d’accomplir ce rêve, certains gagnent quand d’autres perdent, seulement, nous n’entendons jamais les perdants. La version de l’histoire que nous entendons le plus nous ait comté par les gagnants du combat économique, par ceux qui possèdent le pouvoir économique et politique. Bruno Le maire n’a aucune volonté de combattre la pauvreté, il souhaite étendre la domination du marché sur l’ensemble de la société. La pauvreté continuera de se développer, la misère se répand sans qu’aucune force politique ne soit capable de la stopper. Il devient urgent de repenser notre rapport à la société, notre rapport aux autres et plus spécifiquement ici, notre rapport à la pauvreté.

Maxime Teppaz


[1] S’ils ne touchent le RSA, alors ils touchent d’autres allocations sociales comme la prime d’activité.